Chapitre XXIX

Dam n’écoutait plus le sénateur. Le grondement croissant de véhicules dans la rue l’avertissait qu’il allait se passer du nouveau. Les ordres brutaux qui s’entrecroisaient lui apprenaient qu’une rafle de Terriens était en cours. Anrouse et son assistant avaient également entendu et Dam les sentit tous deux tendus. En bas dans le vestibule, il y eut le fracas soudain d’une porte enfoncée, suivi de pas lourds et précipités, et de plusieurs commandements brefs. Anrouse regardait son assistant d’un air accusateur. Dam aussi suivit la relation de cause à effet jusqu’à sa conclusion logique.

« Salaud ! Vous m’avez vendu aux Terriens !

— Seulement pour gagner un peu de temps, se défendit l’homme avec sincérité. Croyez-moi, le temps est la seule chose dont Castalia ait besoin maintenant. »

Il avait dégainé un pistolet et le braquait sur Dam. Jugeant que l’intention était plus de l’immobiliser que de le tuer, Dam glissa une main vers sa poche. Il pressa le bouton à travers l’étoffe de sa veste et le résultat fut immédiat. Alors même qu’il se fondait dans son identité para-ion, il sortit son propre pistolet mais ce fut le tir d’Anrouse qui tua l’assistant. Presque immédiatement, la porte s’ouvrit à la volée et un peloton ordonna à Dam de sortir sans résistance. Il sortit, mais pas comme l’espéraient les arrivants. Sa forme para-ion bondit de la pièce dans le centre du couloir. Indifférent au tir nourri, il se retourna et faucha avec son fulgurant tous les hommes du peloton, puis il sauta d’un seul bond dans l’escalier et sema le chaos et la mort parmi les soldats terriens attendant au rez-de-chaussée. En continuant de tirer sur tout ce qui bougeait, il s’élança dans la rue, non sans avoir vu apparaître, au-dessus de la rampe, la figure d’Anrouse, blême d’appréhension. Malgré le moment, Dam lui adressa un bref salut.

Dans la rue, il choisit le véhicule le plus proche, abattit ses occupants et jeta leurs corps dehors. Son puissant fulgurant fit exploser les moteurs des trois véhicules restants, dont deux prirent feu aussitôt. Dam mit le sien en marche et démarra à une allure démente pour se ruer contre le barrage improvisé qu’un petit groupe de soldats installait en travers de sa route. Les hommes tombèrent comme des quilles et les obstacles déjà placés volèrent de tous les côtés. Avant que des renforts puisse arriver, il était passé et fonçait par des voies détournées, en évitant les artères principales où il pourrait être guetté. Il descendit vers la périphérie de Darrieus où l’enchevêtrement de quais et de ponts révélait la présence des canaux et des cours d’eau, principaux liens commerciaux avec les autres villes de l’intérieur.

Quand les poursuivants terriens retrouvèrent le véhicule, il était abandonné et rien n’indiquait par laquelle des routes adjacentes leur gibier avait fui, ou même en fait, s’il s’était échappé par eau en empruntant l’un des canaux. Peut-être parce que tout cet incident n’était pas en faveur de l’efficacité des Forces d’Occupation Terriennes, un rapport complet ne parvint jamais au commandant de Secteur sur orbite, et les représailles furent relativement légères. Pendant ce temps, un voyageur était retourné dans son ancienne demeure au bord de la Forêt d’Eau et réfléchissait très sérieusement à ce que devrait être sa prochaine manœuvre.

La maison avait été pratiquement abandonnée depuis que Dam était parti pour Terra avec le colonel Dimede, mais un des Lacustres avait été engagé pour veiller à son entretien et soigner le jardin aquatique. A bord d’un aquaglisseur volé, l’allure au ralenti afin de passer avec le plus léger murmure de la turbine, Dam était rentré chez lui de telle manière que sa présence ne soit pas remarquée, même par un observateur connaissant les habitudes des Lacustres. Il fut donc profondément troublé quand il fut réveillé dans l’étrange crépuscule entre le second et le premier-jour par l’arrivée d’un autre glisseur, qui s’amarra à l’escalier de l’appontement. L’unique occupant de l’engin regarda avec précaution de tous côtés avant de venir frapper discrètement à la porte.

« Stormdragon ! C’est moi, Marke Sten. »

L’index de Dam se relâcha sur la détente, mais il garda son arme levée quand il ouvrit avec précaution. Marke Sten était un guide lacustre chevronné et un vieil ami, mais Dam avait déjà appris durement qu’il ne pouvait compter sur les anciennes valeurs. Dans la pénombre, Marke répondit à la menace du pistolet en ouvrant les mains.

« Sois en paix, Dam ! Je ne t’en veux pas d’être prudent, mais je ne suis pas armé. Fouille-moi si tu veux.

— Comment sais-tu que je suis revenu ?

— Personne ne passe par les canaux sans que les Lacustres le sachent. C’est le message qui m’amène. Les Terriens ont mis ta tête à prix fort cher et certains peuvent être tentés d’avoir la prime. Je t’avertis, Dam, tu ne dois pas rester ici.

— Merci, Marke. Si tu m’as trouvé si vite, les autres ne doivent pas être loin derrière. Mais que faire ?

— Viens avec moi. Je vais te conduire en lieu sûr. »

Le doigt de Dam se crispa imperceptiblement sur la détente.

« Où ça ?

— Chez des amis. Longtemps avant que les Terriens passent à l’attaque, nous en avions vu les signes. Il existe une organisation de résistance appelée Castalia Libre. Ils ont besoin de toi.

— Moi, j’ai besoin d’entrer en contact avec Liam Liam ou ceux qui le remplacent.

— Je ne les connais pas mais s’il y a un moyen, mes amis sont, sans doute, les mieux placés pour le trouver.

— C’est logique. Mais tu excuseras ma méfiance. J’ai déjà été trahi une fois à Darrieus. Qui me dit que ce n’est pas encore un piège ?

— Rien, sinon que tu me connais depuis très longtemps. Mais ne tarde pas à te décider. J’entends des moteurs dans le canal. »

En tendant l’oreille, Dam entendit aussi le sourd grondement étouffé loin sur sa gauche, en direction des chenaux conduisant au fleuve. Leur arrivée pouvait être une coïncidence, mais une telle concentration nocturne d’engins paraissait suffisamment inhabituelle pour qu’il fasse le rapprochement avec ce que Sten lui avait appris. D’un geste brusque, il rengaina son pistolet et tendit la main au Lacustre.

« Filons ! A quelle heure s’élève la Forêt d’Eau ?

— Elle commence déjà. Le temps que nous l’atteignions, les arbres seront complètement déployés. Mille hommes pourraient s’y cacher et aucun ne serait découvert avant que les eaux retombent. »

Marke Sten mit en marche ses turbines et retint son glisseur contre l’appontement jusqu’à ce que Dam saute à bord, puis il s’élança à une telle vitesse que seule sa maîtrise de pilote empêcha l’engin de se retourner. Quelques minutes de cette furieuse allure et ils disparurent hors de vue parmi les arbres liquides. A peine étaient-ils ainsi dissimulés que la maison de Dam explosa en une énorme boule de feu qui baigna la Forêt d’Eau d’un flamboiement écarlate que les fontaines jaillissantes n’avaient jamais connu.

Dam aurait juré qu’il connaissait comme sa poche les moindres chenaux et passages mais, quand ils arrivèrent à l’autre bout de la Forêt, il dut s’avouer surclassé. Avec une précision ne laissant place à aucune erreur, Sten lança le glisseur rapide droit sur les berges des marécages qui étaient au-delà entrecoupées de ruisseaux. Tournant et virant comme si l’engin était une créature vivante, il trouva à chaque fois assez de profondeur entre les roseaux et continua de foncer à la même vitesse insensée dans une région de bas-fonds et de mares éparses que personne au monde n’aurait crue navigable. Ils débouchèrent enfin sur l’eau sombre d’un canal, puis dans un fleuve où de lourds navires se dressaient parmi une jungle traîtresse de chaînes d’ancre et de bouées.

Dans le dédale de quais et d’appontements, Sten tourna soudain dans un étroit canal aux parois de briques qui aboutissait au pied d’un escalier. Il maintint l’aquaglisseur pendant que Dam sautait à terre puis, dans les teintes grandissantes du premier-jour, il salua gravement.

« Je ne vais pas plus loin, Dam. Quelqu’un va t’accueillir en haut. Prends garde à toi et que Dieu guide ta main dans la bataille. »

Le petit glisseur vira sur lui-même et disparut. Dam s’assura que l’anneau de sûreté de son pistolet était poussé, et gravit lentement les marches de pierre usées. Une silhouette l’attendait, accoudée à la balustrade bordant la route et dans la rangée de maisons endormies, une porte solitaire était encadrée d’un filet de lumière. Elle s’ouvrit pour Dam, et il entra dans une pièce confortable et simple, bien ordonnée, caractéristique d’un cottage de Lacustre. Les trois personnes présentes, deux femmes et un homme, furent rejointes par celui qui avait accueilli Dam en haut de l’escalier, et l’on tira de nouveau les rideaux contre les regards indiscrets.

« Bienvenue à Castalia Libre, Dam Stormdragon ! Nous avons entendu parler de vous, mais vous ne nous connaissez pas. Nous sommes une cellule de l'Armée de Libération castalienne. Nous vous invitons à joindre nos rangs. »

Dam examinait les occupants de la pièce. Tous étaient étreints par l’émotion dramatique du moment, mais aucun ne semblait avoir d’expérience du combat. Il pensa, à regret, qu’il était tombé entre les mains d’amateurs pleins de bonnes intentions. « Que savez-vous de moi ? demanda-t-il avec réserve.

— Vous êtes un officier de l'Armée Spatiale, dit une des femmes, qu’on avait présentée sous le nom de Baba, en comptant sur ses doigts. Vous avez été entraîné au maniement de toutes les armes. Vous êtes un pilote spatial qualifié. Vous avez connu le service forcé avec la flotte terrienne. Vous figurez en tête de la liste des hommes les plus recherchés par ces salauds de Terriens. Tout cela fait de vous une manière de célébrité.

— Cela fait surtout de moi une manière de danger. Vous avez déjà assez de problèmes avec la clandestinité.

— Alors, vous refusez de nous aider ? demanda anxieusement Jorg Turgen, celui qui avait accueilli Dam dans la rue.

— J’aimerais plutôt savoir si vous pouvez m’aider. J’ai un urgent besoin de contacter l’organisation de Liam Liam. J’apporte des renseignements qui leur sont nécessaires pour porter directement la guerre contre la flotte en orbite, ou même jusque sur Terra si l’occasion se présente. A mon avis, c’est plus utile que d’essayer de livrer bataille sur Castalia même. Si vous harcelez trop les Terriens, ils stériliseront la planète. C’est seulement dans l’espace qu’ils peuvent être battus.

— De quel genre d’aide auriez-vous besoin ? demanda Baba.

— J’ignore tout à fait où se trouve Liam Liam, je sais seulement qu’il a une base dans le Noyau. Avez-vous des moyens de transmission capables d’atteindre d’autres mondes ? »

Turgen fit une moue.

« Nous avons secrètement accès à une liaison FTL commerciale, mais les Terriens brouillent toutes les transmissions.

— Ça peut se résoudre en émettant des messages répétés à intervalles réguliers. Le signal original peut alors être séparé du brouillage par un analyseur de coïncidence. Le problème, c’est où diriger l’émission. Avez-vous la moindre idée de l’emplacement de la base de Liam ? »

Soudain, celui qui n’avait pas encore parlé se leva d’un bond, un doigt sur les lèvres. Il éteignit tout et alla à la fenêtre, pour regarder prudemment dehors par les coins des lourds rideaux.

« Je m’en doutais, grommela-t-il, blême d’angoisse. Des patrouilles terriennes aux deux bouts de la rue. Elles viennent peut-être ici.

— Vite ! Par derrière, dit Turgen, en indiquant une petite porte dans le fond de la pièce. Il y aune ruelle qui descend vers le fleuve. »

Dans une bousculade affolée, les conspirateurs se précipitèrent vers la petite porte mais, comme ils allaient l’atteindre, elle fut arrachée à ses gonds par la violence d’un grand coup frappé de l’extérieur et le groupe surpris se trouva face aux bobinages de fulgurants terriens et aux yeux durs des hommes en uniforme qui les braquaient.

« Le premier qui bouge est mort, annonça une voix. Plus particulièrement Bel-Amant que voilà, qui serait doublement mort avant qu’il fasse un geste vers son bottier de commande para-ion. Alors que personne ne bouge un seul muscle avant que vous soyez tous désarmés et Stormdragon neutralisé. Je ne suis pas là pour plaisanter, compris ? »

Kapp,Colin-Commandos Para-Ion
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